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Tempi passati
13 décembre 2015

Le lac des cygnes

Je revois en ce moment ce ballet mythique dans la chorégraphie de Noureev filmé à l'opéra Bastille en 2006 avec dans les rôles principaux Agnès Letestu et José Martinez.

Comme toujours on a beau connaitre la partition par cœur, on est chaque fois sous le choc. 

Non seulement la partition du compositeur russe est de toute beauté, n'en déplaise à l'un de mes anciens collègues qui qualifie l'œuvre de Tchaïkovski de pompier! Comment peut-on sortir pareille sottise. Qu'on ne l'aime pas est tout à fait légitime, mais qualifier ainsi les œuvres d'un des maitres de la musique romantique ne tient pas plus debout que si j'attribuais ce qualificatif à Bach ou à la musique baroque que je n'aime pas. Mais j'ajouterai qu'en plus ce ballet bénéficie ici du génie de la captation télévisée de François Roussillon et de son équipe.

Il est vrai qu'il a avec les interprètes, un ensemble sans précédent sans doute dans l'histoire du ballet. Le Ballet de l'opéra de Paris sans aucun chauvinisme de ma part, est pour moi la meilleure troupe du monde, très loin devant les ballets russes ou américains. Cela tient à la discipline de fer que l'ancienne directrice de la danse Brigitte Lefèvre a su imposer à la troupe aidée en cela par une école de danse où la rigueur, le souci du travail bien fait - je dirai de la pointe des cheveux à la pointe des chaussons - , la diversité de l'enseignement non seulement de la danse classique mais de toutes les disciplines et styles associés ainsi que du théâtre et la poursuite de l'enseignement scolaire jusqu'au baccalauréat, sont une obligation créée faut-il le rappeler par la grande étoile que fut Claude Bessy et dont Elisabeth Platel pris la succession avec autant de professionnalisme. J'ai vu de nombreuses troupes étrangères ou françaises, aucune n'atteint la perfection des ensembles et des solistes du corps de ballet de l'opéra de Paris.

C'est évidemment dans ce cas particulier comme pour d'autres ballets classiques ou modernes des étoiles comme ici ayant non seulement une technique sans faille mais aussi des qualités d'acteurs; Agnès Letestu a suivi pendant plusieurs années des cours particuliers avec l'ex pensionnaire de la comédie française, Jean-Laurent Cochet.

Mais ce qui fait aussi l'exceptionnelle qualité de cette enregistrement, c'est la maitrise totale du média télévisé de Roussillon et de ses cameramen. On sent qu'avant la captation une étude minutieuse tant de la partition que de la chorégraphie a été faite. Sans cela on n'aurait jamais eu des plans aussi parfaits et un pareil montage. Il n'est pas évident au cours d'une représentation de pouvoir saisir les quelques millisecondes de positions de mains ou de pieds, ce regard intense des deux interprètes, Martinez en extase devant le cygne blanc Odette puis totalement fasciné au troisième acte et tombant dans le piège que lui tend Rothbart le mauvais génie, oubliant Odette pour Odile le cygne noir. Ici Roussillon réussit le tour de force de nous montrer en gros plan, ce qu'aucun spectateur si bien placé soit-il ne pourra voir, le regard à la fois cynique et fourbe de Odile venue séduire le prince et en quelque sorte télécommandée par le mauvais génie.

Comment fait-on pour saisir la grâce infinie des mains de Letestu, ce rictus invraisemblable de Letestu/Odile et à contrario cette souffrance dans l'acte 2 et 4 du personnage d'Odette qui semble dès le départ ne se faire aucune illusion sur l'amour du prince et la parole donnée.

Autre idée de génie, celle là de Noureev, faire du personnage du précepteur/Rothbart un personnage à part entière doté d'une chorégraphie en particulier dans des pas de deux avec le prince. Là encore Roussillon capte à merveille le regard de Karl Paquette démoniaque en percepteur jaloux de sa condition et qui voit progressivement le prince échapper à sa tutelle de fer. En contrepoint Rothbart apparait au trois en monstre glaçant de fourberie quand il l'entraine dans sa chute finale.

Tout ceci serait-il un songe comme le laisse supposer l'ouverture nous montrant le prince rêvant de sa jolie princesse transformée en cygne, ou bien la réalité à laquelle à l'évidence le prince ne pourra survivre.

Ce lac me bouleverse chaque fois, sans doute aussi parce qu'il évoque pour moi un métier que j'aurais rêvé de faire mais qu'une mère castratrice finit par m'ôter le courage d'entreprendre. Le hasard me fit néanmoins tardivement prendre des cours de danse classique avec un des professeurs de l'école de danse de l'opéra Daniel Franck. J'avais 35 ans! Un peu tard pour jouer aux petits rats!!! C'est un de ses amis premier danseur de la Fenice qui me fit vaincre ma timidité alors que je passais des vacances au Maroc au Club Med à Smir près de Tanger. Au cours d'une conversation on s'aperçut que j'avais dû voir danser Christian Cueur lorsqu'il était dans le troupe du Marquis de Cuevas. De fil en aiguille il m'obligea à venir participer à ses cours dispensés dans une salle spécialement équipée d'un des hôtels du village. Christian fut assez stupéfait de la facilité avec laquelle j'arrivais à me mettre en cinquième et même après suffisamment d'échauffement à presque faire un grand écart. De là le conseil de continuer de retour à Paris, chez Daniel. Ce furent trois ans de bonheur jusqu'en 1978 où hélas je me fracturais deux lombaires lors d'une chute à ski contre un rocher. 

De cette expérience courte et tardive j'acquerrais une connaissance du ballet qui dépassait le simple plaisir visuel. Et surtout l'indulgence devant des soirées qui pouvaient être ratées ou médiocres non pas du fait des chorégraphies mais simplement parce que ces danseurs ne sont pas des machines, mais des être humains avec leur bons et mauvais moments, sans parler des accidents matériels ou physiques qui peuvent survenir à tout moment si compétents soit-on. 

Il y a quelques années lors d'une représentation de la Belle au bois dormant, tout ce liguât contre ces malheureux danseurs, un des princes perdit son épée obligeant les quatre à viser pour ne pas se prendre les pieds dedans dans leur variation; lors du prélude accompagnant la fée et le prince vers la forêt enchantée où la cour est plongée dans le sommeil par la fée Carabosse, la barque de la fée manquât tomber dans la fosse d'orchestre, s'arrêtant à quelques centimètre du point de rupture d'équilibre. Rentrant le soir en métro je me trouvais près d'un groupe de spectateurs qui cruellement se moquaient et surtout jugeaient avec une sévérité et une méchanceté inadmissible, la pauvre troupe qui était en effet loin d'être à son meilleur niveau ce soir là. Je ne pus m'empêcher de les remettre à leur place. Sortant du wagon, une jeune fille qui était à coté de moi et dont j'avais remarqué la tristesse croissante, au bord des larmes en entendant pareilles critiques, m'abordât et me remerciant , me disant qu'elle faisait partie du corps de ballet et qu'ils étaient en cette période de fin d'année épuisés par les épreuves des concours de fin d'année et des représentations quasi quotidiennes de l'œuvre chorégraphiée par Noureev. On oublie trop souvent que le concours de fin d'année est un des passages obligés qui non seulement conditionne l'avancement dans la troupe, mais peut aussi bien signifier par son échec d'une sortie pure et simple de  celle ci.

J'aurais aimé faire ce métier, aurais-je été à la hauteur? Peut-être que oui, peut-être que non. En tous cas c'est toujours avec un nœud à l'estomac que j'assiste à ces représentations quel qu'elles soient et verse souvent une petite larme. Ca peut paraitre bête, mais que faire, on ne contrôle pas sa sensibilité et c'est mieux ainsi.

 

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