J'ai toujours eu pour Alexandre Dumas père une profonde admiration. Au point que depuis quelques années je me suis mis en tête de me constituer une collection complète de ses oeuvres de préférence en édition Calman Levy de la deuxieme moitié du XIXe.
Je suis loin d'avoir aboutit à cette tâche vue la somme de romans, d'essais, de souvenirs de voyages et autres que le célèbre auteur des trois mousquetaires a écrit avec ou sans collaborateur.
Il est d'ailleurs de mode de dénigrer Dumas parce qu'il s'est fait aidé dans la composition de plusieurs de ses ouvrages. Ce qu'on semble oublier tout de même c'est que le style de Dumas est inimitable et se reconnait des les premières lignes. Par conséquent in fine c'est bien lui qui a écrit le texte final même si pour des recherches il a eu certainement des aides tels aujourd'hui ces écrivains qui vous balancent eux aussi des 4 et 5 volumes par an de plus de 300 pages sur des romans historique.
On reproche aussi les libertés qu'il prend avec l'histoire, mais dans le fonds a-t-il vraiement eu la prétention de se poser en historien de son temps ou du passé? Je pencherai plutôt pour un simple témoin de l'époque et un vulgarisateur de l'histoire quitte ensuite à aller aux sources sérieuses pour corriger les approximations ou les erreurs voulues ou non. Dans le fonds si les Trois mousquetaires ont donné envie à des enfants ou des adolescents d'aller lire des bouquins d'histoire tant mieux et qu'importe si l'affaire des Ferrets s'est déroulée ou non de la manière décrite par Dumas.
Je lis en ce moment un de ses romans que je ne connaissais pas et qui est aussi passionnant que ses grands classiques:
Les Mohicans de Paris,suivi de Salvator qui en est le prolongement. 9 volumes prés de 3000 pages.Une petite merveille de roman à la fois "historique" mais aussi un interessant témoignage de ce qu'étaient les opinions socio-économico-politique de Dumas sur le règne de Charles X à la veille de la Révolution de Juillett. C'est aussi bien entendu un roman qui s'inscrit dans le mouvement du drame romantique du début du XIXe et dont Victor Hugo a été l'un des premiers novateurs. Quand Dumas écrit son livre un quart de siècle s'est écoulé depuis la révolution de 1830. ll nous livre un véritable scénario de cinéma tant le moindre détail est posé avec précision dans le texte. D'ailleurs les deux ouvrages ont été portés à l'écran grace à la télévision dans les années 70 avec une prestigieuse distribution. A l'époque séries ne signifiaient pas sottises comme neuf fois sur dix on l'observe aujourd'hui.
Outre le plaisir d'être tenu en haleine de chapitre en chapitre par ce génie du roman qu'est Dumas, il y a le plaisir de la langue écrite. Dumas a un vocabulaire qui ne se limite pas aux quelques 400 ou 500 mots de nos auteurs actuels qui écrivent comme ils parlent et ne parlons pas de l'étendue du vocabulaire du public qui lui se rachitise d'année en année dans la vertigineuse montée du style SMS!
Je me dis que si Dumas vivait de nos jours avec ses qualités d'il y a presque deux cents ans, il aurait pu être un Visconti, un Scorcese ou un Cecil B. de Mille au cinéma voire les trois à la fois.
Pour finir cet article je vous livre un extrait de Salvator la suite des Mohicans de Paris. Dumas nous emmêne chez Lydie de Marande épouse d'un Banquier de la rue d'Artois qui est devenue par la suite la rue Laffite où se déroule une de ces soirées réunissant le tout Paris de l'époque (1827). Sa protégée Carmélite va chanter lorsque rentre dans le salon Monseigneur Coletti; voici comment Dumas nous le présente:
"....Au moment où madame de Marande prononçait ces mots :
« Quand tu voudras, Carmélite... ». En entrant dans la chambre à coucher et en laissant retomber la portière derrière elle, on annonçait à la porte du salon :
— Monseigneur Coletti.
Profitons des quelques secondes que va mettre Carmélite à serendre à l’invitation de son amie pour jeter un coup d’œil rapide sur monseigneur Coletti, qu’on annonce et qui fait son entrée.
Nos lecteurs se rappellent peut-être avoir entendu prononcer le nom de ce saint homme par madame de la Tournelle.
En effet, monseigneur Coletti était le directeur de la marquise. Monseigneur Coletti était, en 1827, non seulement un homme enfaveur, mais encore un homme en réputation ; non seulement un homme en réputation, mais un homme à la mode. Les conférences qu’il venait de tenir pendant le carême lui avaient fait un renom de grand prédicateur que nul, si peu dévot qu’il fût, ne songeait à lui contester ; excepté peut-être Jean Robert qui, poète avant tout et voyant tout en poète, s’étonnait toujours que les prêtres, ayant un texte aussi magnifique que l’Évangile, fussent d’ordinaire si mal inspirés, si peu éloquents. Il lui semblait, à lui qui luttait, et qui luttait victorieusement, contre un auditoire cent fois plus rebelle que celui qui vient s’édifier aux conférences saintes, il lui semblait, disons-nous, qu’il eût eu, s’il fût monté en chaire, une parole bien autrement persuasive ou bien autrement tonnante que toutes les paroles musquées de ces mondains prélats dont une fois, par hasard, il allait écouter les homélies. Alors il se prenait à regretter de n’être pas prêtre, de ne pas avoir une chaire au lieu d’un théâtre, et des auditeurs chrétiens au lieu de spectateurs profanes. Bien que ses fins bas de soie et tout son costume de couleur violette révélassent un des dignitaires de l’Église, on pouvait prendre monseigneur Coletti pour un simple abbé du temps de Louis XV, tant sa figure, sa tournure, son air, sa démarche et son dandinement dénonçaient un galant coureur de ruelles, bien plus qu’un rigide prélat prêchant l’abstinence en carême ; on eût dit qu’après s’être endormi, comme Épiménide, pendant un demi-siècle, dans le boudoir de madame de Pompadour ou de madame du Barry, monseigneur Coletti s’était réveillé tout à coup et s’était mis à courir le monde sans s’informer des changements survenus dans les mœurs ou dans les coutumes, ou bien encore qu’arrivé tout frais de la cour pontificale, il s’était fourvoyé au milieu d’une réunion française avec son costume d’abbé ultramontain. Au premier aspect, c’était un joli prélat dans toute l’acceptation du mot, rose, frais, paraissant trente-six ans à peine ; mais, en yregardant de plus près, on s’apercevait bientôt que monseigneurColetti avait, pour son visage, la faiblesse qu’ont pour le leur les femmes de quarante-cinq ans qui tiennent à n’en paraître que trente:
monseigneur Coletti mettait du blanc ; monseigneur Coletti mettait du rouge. Lorsqu’on parvenait à percer cette couche de badigeon et qu’on arrivait jusqu’à la peau, on était effrayé de rencontrer, sous cette apparence animée, je ne sais quoi de morbide et d’éteint qui faisait froid. Deux choses, cependant, vivaient dans ce visage immobile comme un masque de cire : les yeux et la bouche :
Les yeux, petits, noirs et profonds, lançant des éclairs rapides, menaçants même, puis se voilant aussitôt sous une paupière doucereuse et béate ; la bouche, petite, fine, avec la lèvre inférieure moqueuse, spirituelle, méchante par moments jusqu’au venin. L’ensemble de cette physionomie pouvait parfois révéler l’esprit, l’ambition, la luxure, mais jamais la bonté. On sentait de prime abord qu’on avait tout intérêt à ne pas avoir cet homme pour ennemi ; mais nul n’eût éprouvé, au point de vue de la sympathie, le désir de s’en faire un ami.
Sans être grand, il était, comme disent les bourgeois en parlant d’un homme d’Église, d’une belle prestance. Joignez à cela quelque chose d’éminemment hautain, dédaigneux, impertinent, dans sa façon de porter la tête, de saluer les hommes, d’entrer dans un salon, d’en sortir, de s’asseoir et de se lever. En revanche, il semblait avoir réservé pour les femmes ses plus fines fleurs de courtoisie; il clignait des yeux, en les regardant, d’une façon significative, et, lorsque la femme à laquelle il adressait la parole lui plaisait, sa figure prenait une indéfinissable expression de luxurieuse douceur.
Ce fut avec ces yeux à demi fermés et clignotants qu’il entra dans ce salon qu’on pouvait appeler le salon des femmes, tandis que le général, qui connaissait monseigneur Coletti de longue main, murmurait entre les dents en l’entendant annoncer :
— Entre, monseigneur Tartuffe !......"