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Tempi passati
3 avril 2021

Feydeau massacré!


On fête cette année le centenaire de la mort de Georges Feydeau. Ce petit détail semble être passé inaperçu des commentaires faits dans le film diffusé hier soir par la chaîne France 5. On a dit en passant qu’il disparaissait en 1921 sans véritablement mettre l’accent sur ce point qui justifie à lui seul qu’on rappelle le génie de cet auteur dramatique.

L’émission qui se veut une sorte de rétrospective de son grand talent non seulement d’amuseur, s'amusait-il vraiment rien n'est moins sûr, mais surtout de peintre des mœurs de la société bourgeoise, était agrémentée d’extraits de productions couvrant la période des années 50 à nos jours.

Ce qui ressort une fois de plus de ce tour d’horizon bien succinct, c’est l’incapacité actuelle des acteurs et metteurs en scène de théâtre à comprendre que certains sujets sont datés et ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une modernisation ou actualisation quelconque. Le temps est bien passé où pour obtenir un  divorce on devait faire appel au flagrant délit suivi d’un procès en bonne et due forme pour justifier des torts de la partie adverse.

Quand j’étais étudiant en sciences économiques à Grenoble au début des années 60, notre cour de droit civil comprenait l’étude des questions du droit de la famille. Nous allions avec mes camarades travailler à la bibliothèque universitaire le soir et terminions avant  la clôture des locaux par une incursion dans les grands et volumineux volumes recensant les arrêts circonstanciés des tribunaux en la matière. Je me souviens de cet arrêt désopilant mettant en scène deux amis dont l’un quelque peu éméché avait parié avec son copain qu’il pourrait sans problème coucher avec sa femme à son insue. La description des lieux mettait l’accent sur le fait que pour atteindre la couche de la dame il fallait au préalable traverser la chambre de ses parents ! Le parieur réussit à surmonter cet obstacle, s’introduisit dans le lit de la belle avec ses chaussures et réalisa sans problèmes la teneur de son pari, ce n'est une fois l'acte consommé que la dame ameuta le quartier par ses cris d'orfraies ! Le mari de mauvaise foi poursuivi en justice son copain et l’arrêt devait statuer sur la question de savoir s’il y avait consentement de la dame ou séduction dolosive ! Le tribunal conclu non sans humour « que l’on ne pouvait pas accuser l’inculpé de séduction dolosive, la dame ayant consenti à l’acte et de la belle manière ». On nage ici en plein  Feydeau, l’arrêt datait de la fin du XIXe siècle.

Je doute qu’aujourd’hui on ait besoin d’une telle procédure pour engager une action en divorce.

C’est donc une hérésie sans nom de monter le Dindon ou le Fil à la Patte en costumes XXIe siècle et avec des attitudes et jeux de scène propres à notre façon de vivre. La Comédie Française et nombre de théâtres de boulevard sous le prétexte de rajeunir et de rendre compréhensible par le public de 2021 ces chefs d’œuvres du théâtre, tombent tout droit dans ce travers à de rares exceptions près.

S’ajoute à cette aberration un des défauts majeurs des acteurs actuels, celui d’une diction particulièrement défaillante. Or le rythme qui doit être endiablé des dialogues de Feydeau impose une diction et une respiration ventrale parfaite pour que toutes les nuances ou subtilités en soit perçues. Ceci vaut d’ailleurs pour les productions cinématographiques ou télévisées filmées ou rarement en direct. Il m’arrive souvent regardant une série française même de qualité quant à son interprétation et sa réalisation, d’activer les sous-titres pour décrypter le dialogue marmonné de certains acteurs. Ne parlons pas des liaisons mal-t-a-propos de certains, présentateurs des journaux télévisés ou autres interviews; je me suis pris de bec avec une camarade de cours de théâtre qui voulait absolument parler des "mille-z-années" dans l'une de ses répliques. Nous avons enfin ces "e" en final de tous les mots: les joureux, annéeseux et autres eu-ismes chers aux jeunes comédiens ou supposés tels.

Un autre aspect du délire des mises en scènes actuelles, au Français tout particulièrement, tient au non respect de la didascalie prévue par l’auteur. L’un des metteurs en scène interviewé dans l’émission pourtant a insisté sur ce fait majeur des pièces de Feydeau. Cela ne l’a pas empêché de laisser ses acteurs ne pas la suivre dans l’extrait donné de « Ne te promènes pas toute nue ».

La mise en scène récente du « Dindon » pêche d’un autre défaut celui de croire que plus on crie plus on est drôle ! Ne parlons pas de l’incompréhension flagrante du rôle de Bouzin  dans « le fil à la patte » par Christian Hecq, qui n’a pas compris la nature du personnage. Bouzin est un complexé notoire quelque peu paranoïaque, clerc de notaire qui s’apparentait à l’époque aux fonctionnaires brocardés par Labiche dans « Messieurs les ronds de cuir ». Il manque totalement d’imagination, agit sur l’instant et ne peut en aucune façon s’extasier sur un fauteuil ou autre objet de mobilier, il n’a qu’une seule préoccupation celle de présenter sa chanson d’une stupidité abyssale à Lucette Gautier qui elle-même comme sa sœur est loin d’avoir inventé l’eau tiède !

Toute la force comique du personnage a été exploitée magistralement par Robert Hirsch qui en a fait comme il se devait un personnage étriqué tant par son physique que par ses vêtements comme le montre à merveille la fameuse scène du deuxième acte, la confrontation entre Bouzin et Fernand de Bois-d'Enghien,  ce dernier tout autant ridicule en caleçon sur le palier de son appartement dont il a laissé les clés à l'intérieur. Bouzin est non seulement étriqué mentalement mais pudique à l’extrême au point d’utiliser comme cache sexe, son parapluie ! C'est le seul ajout de Hirsch dans la didascalie, elle tient la route car elle s’intègre parfaitement au déroulement de l'action et en quelque sorte la fait avancer.

Même Thierry Hancisse pourtant remarquable comédien que je vis interpréter un fabuleux Néron dans Britannicus en 1989, passe à coté du personnage de Pontagnac dans la scène finale du Dindon. Il surjoue le dialogue quand il résume ses mésaventures en mettant des silences qui n’ont pas lieu d’être. Il ralentit l’action, rien ne permet dans la situation de se comporter de cette manière sinon de la part de l’acteur de vouloir attirer l’attention sur soi-même.

On ne répétera jamais assez le conseil de Louis Jouvet : « un geste, un ton de voix, un déplacement, un accessoire, un décor qui ne contribue pas à faire avancer l’action, est une scorie dans une interprétation ou mise en scène et doit en être banni. ». Cela vaut dans tout le répertoire théâtral, aussi à l’opéra comme au cinéma.

La comparaison entre les productions du Français des 50-1980 et celles postérieures est sans appel. D’un coté une troupe qui travaille en réelle alternance et dont les acteurs ont été recrutés de la façon la plus sévère qui soit : premier ou deuxième prix voire de façon exceptionnelle premier accessit au concours de sortie du conservatoire, à la diction parfaite, et rentrant dans cette maison à l’époque prestigieuse, pour y faire carrière et non comme aujourd’hui où la majorité des sociétaires ou pensionnaires soit ne font qu’y passer se servant de leur titre d’ancien comme de carte de visite, soit passant presque plus de temps en des activités hors de la compagnie qu'à y être en scène.

S’il est quelqu’un que l’on doit écouter et qui n’a pas eu l’honneur posthume de cette émission, c’est le petit fils de Feydeau, Alain Feydeau, qui a cédé tous les manuscrits dont il était le dépositaire, à la Bibliothèque Nationale. Il explique dans une interview non seulement le déroulement de sa carrière de pensionnaire pendant 25 ans au Français mais aussi comment il conçoit l’interprétation et les compétences théâtrales nécessaires pour interpréter et mettre en scène le théâtre de ce grand dramaturge. Il ressort à juste titre de sa lecture que ce théâtre est bien plus tragique que comique dans ses fondations. A lire: Le petit-fils de Georges Feydeau parle de Dormez, je le veux !

Claude

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