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Tempi passati
2 novembre 2021

Moments d'exception

Je viens de recevoir et de regarder le concert d'adieux de Bernard Haitink donné au Festival de Salzbourg 2019. Deux œuvres au programme le concerto n°4 en sol majeur de Beethoven avec Emanuel Ax au piano, la 7e de Bruckner en mi major. L'orchestre Philharmonique de Vienne.

Depuis l'enregistrement de ce concerto par Solomon Cutner qu'on appelait tout simplement Solomon, je n'ai jamais entendu une version de ce concerto de Beethoven qui m'ait convaincu jusqu'au bout. Je me souviens d'avoir acheté je crois à Torquay dans le Devon, le microsillon paru à l'époque chez EMI en 1957. La carrière de ce très grand pianiste s'était arrêtée brutalement l'année précédente des suites d'un AVC dont il demeura jusqu'à la fin de sa vie en 1988 paralysé. Il était entrain d'enregistrer l'intégrale des sonates de Beethoven. Une perte immense pour la musique, d'un digne successeur d'Arthur Schnabel. On trouve aujourd'hui sur YouTube mais bien entendu aussi en cd la plupart de ses enregistrements, dont l'intégrale des concerti du maître de Bonn, mais aussi Grieg, Schumann, le second de Brahms, quelques sonates et d'autres joyaux.

Avec Ax enfin je retrouve la même émotion en écoutant ce concerto n°4 mon préféré sans contexte parmi les 5. Ax comme Solomon donne sous la direction de Haitink et avec l'orchestre de Vienne, une interprétation toute en finesse; pas de virtuosité pour faire de l’esbroufe, même les passages virtuoses et dieu sait que dans le premier et dernier mouvement il n'en manque pas, c'est de la virtuosité réfléchie, comme on dit au théâtre il ne surjoue jamais. Le second mouvement je le connais par cœur et pour cause, j'ai eu l'arrogance de le travailler avec mon premier prof de piano Bruno Bahurel. C'était au temps où je travaillais mon instrument parce qu'entre autres mon prof savait me motiver et était un excellent pédagogue, il est hélas mort du sida bien trop jeune. Ce second mouvement a ceci de particulier que l'on peut jouer aussi bien la partie d'orchestre que soliste en entier car à quelques notes près orchestre et piano ne jouent jamais en même temps. Ax en donne une interprétation toute en nuances sans pathos, sans effet de manches.

Si je devais faire une critique à l'ensemble de cette interprétation ce serait sur le tempo général, mais elle est générale quelque soit le pianiste, le chef, l'orchestre; on joue cette œuvre un tantinet trop vite. Pour ce qui est de Ax il y a une chose qu'il n'a pas réussi à faire et il n'est pas le seul. Vers la fin lors de la reprise du thème du 3e mouvement, il y a trois ou quatre mesures du clavier que Solomon réussissait à merveille donnant l'impression à l'auditeur, qu'il y avait non pas un mais deux pianos décalés d'une demi seconde comme se répondant en écho. C'était magique. Haitink dirige comme toujours sans se contorsionner comme la plupart des chefs actuels, pas de grimaces, pas de regards vers les caméras, histoire de dire vous voyez je suis là, c'est moi qui mène la danse. Ax lui non plus, il regarde son clavier quasiment impassible si ce n'est un léger sourire quand certains passages doivent correspondre exactement à ce qu'il voulait faire et regarde de temps en temps l'orchestre comme pour dialoguer avec les musiciens doublant ainsi la conversation du piano et de l'orchestre. Combien de solistes prétentieux jeunes ou moins jeunes aujourd'hui pourraient apprendre de ces deux grands du piano et de la direction d'orchestre; Haitink et Ax ont donné il y a quelques années aux Proms les deux concerti de Brahms, ils sont sauf erreur toujours en ligne sur YouTube, là c'est Backhaus que Ax égale dans le numéro 2.

Seconde partie du concert de ce soir de 2019, la 7e de Bruckner. L'orchestre est maintenant au grand complet. Haitink toujours sobre, toujours concentré, à la gestuelle minimaliste, au regard perçant, pas de partition devant lui sinon une fermée sans doute celle de l’œuvre précédente. Sonorités somptueuses du Wiener Philharmoniker, à la fin du second mouvement si ma mémoire est bonne, Haitink envoie un rapide baiser aux musiciens! C'est touchant! Il dirige encore debout s'asseyant de temps en temps pour quelques secondes. Tout est parfait et tant pis pour mes voisins, mais j'ai mis le volume suffisamment haut pour avoir vraiment les sensations de la salle. Avec ses 2m40 de diagonale mon écran enveloppe pratiquement tout mon champ de vision dans le noir.

A la fin du concert les 2079 spectateurs de la grande salle sont debout applaudissant à tout rompre même lorsque l'orchestre et son chef ont déjà quitté le plateau. Haitink sort visiblement épuisé au bras je suppose de sa fille. C'est son avant dernier concert, il dirigera le 6 septembre de la même année le même programme au Festival de Lucerne.
Deux immenses orchestres pour deux immenses interprètes. La France toujours généreuse l'a décoré Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres, que voulez vous Haitink n'est pas footballeur alors la légion d'honneur, n'est ce pas ce n'est pas de son niveau....

Ne cherchez pas à trouver sur YouTube ce concert ou celui de Lucerne les parasites d'imprésario et de maison de disques font ce qu'il faut pour empêcher le plus grand nombre et surtout ceux qui ne peuvent pas payer les prix himalayens de Salzbourg voire même un blu ray et son lecteur, de jouir de ce moment d'exception. Je ne sais pas si Arte diffusa le concert en direct à l'époque et puis comme vous le savez pour nos chaînes nationales l'heure de la culture commence autour de 1 ou 2h du matin, avant y a Ardisson ou Naguy, c'est plus cool!

 

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